Face à des projections démographiques alarmantes, Attitude Manche déploie une stratégie d’attractivité résidentielle audacieuse ciblant ses expatriés. Comment reconquérir ces talents partis ailleurs ? Quels leviers pour réveiller le sentiment d’appartenance ? Plongée dans les coulisses d’une démarche innovante avec Paul-Vincent Marchand, directeur d’Attitude Manche.

Paul-Vincent Marchand, Directeur général de l’agence Attitude Manche

Le paradoxe manchois : une économie en croissance face à une population en déclin

D’un côté, les projections démographiques annoncent une perte potentielle de 20% de sa population active d’ici 2050. De l’autre, les prévisions économiques révèlent un besoin grandissant de main-d’œuvre, avec des projets industriels qui devraient faire augmenter le nombre d’emplois salariés de 43%. Le fossé entre ces deux courbes conduirait à « un déficit de 45 000 salariés pour le territoire, ce qui représente un manque à gagner économique colossal évalué entre 9 et 12 milliards d’euros. »

« Nous allons potentiellement faire face à un manque à gagner de 9 à 12 milliards d’euros du fait du déficit
de 45000 salariés dans la Manche d’ici 2050 ».
Paul-Vincent Marchand, Directeur général d’Attitude Manche.

Dans ce contexte, Attitude Manche a fait un choix stratégique double : concentrer une partie de ses efforts sur les expatriés manchois et cibler prioritairement les jeunes.
Notre stratégie vise particulièrement deux segments clés : les jeunes dans la vingtaine qui terminent leurs études ou débutent leur carrière, et ceux dans la trentaine qui commencent à fonder une famille et recherchent un meilleur cadre de vie, précise Paul-Vincent Marchand.

Ces deux groupes représentent un potentiel considérable de retour, à un moment où leurs choix de vie peuvent encore facilement s’orienter vers le territoire d’origine.

Un diagnostic territorial préoccupant : la fuite des jeunes talents

La situation est d’autant plus critique que 75% des bacheliers quittent le territoire pour poursuivre leurs études supérieures. À Caen, Nantes ou Paris, ce vivier de talents ne revient pas spontanément, persuadé que leur territoire d’origine n’offre pas les opportunités professionnelles dont ils ont besoin.

Paul-Vincent Marchand, directeur d’Attitude Manche, est catégorique : Face à l’ampleur du défi, sans une mobilisation massive et des actions véritablement transformante, les initiatives déployées jusqu’ici risquent d’être insuffisantes. Les idées reçues que nous devons combattre ? ‘Il n’y a pas d’emplois intéressants dans la Manche’ et ‘Les postes à responsabilité ou vraiment stimulants sont tous à Paris’. »

« Face à l’ampleur du défi, sans une mobilisation massive et des actions véritablement transformante, les initiatives déployées jusqu’ici risquent d’être insuffisantes. »
Paul-Vincent Marchand, Directeur général d’Attitude Manche.

L’absence de TGV pèse également dans l’imaginaire collectif : « Alors que  les liaisons Paris-Normandie se sont améliorées avec des trains  désormais plus modernes et confortables, le simple fait de ne pas avoir ces trois lettres magiques – T-G-V – suffit à renforcer la perception d’un territoire enclavé. » Une perception qui fait écho aux analyses récentes menées par Laou sur l’impact réel du TGV sur l’attractivité des territoires, parfois largement surestimé.

Une stratégie qui mise sur la fierté locale 

La stratégie développée par Attitude Manche repose sur un constat fondamental : l’attachement émotionnel à un territoire constitue un puissant levier d’attractivité encore largement sous-exploité. La mobilité géographique provoque une cascade de questionnements et d’inquiétudes. C’est pourquoi il est extrêmement rare de voir quelqu’un déménager vers un territoire où il n’a strictement aucune attache. »

Cette intuition s’est trouvée confirmée par une étude approfondie menée auprès d’un panel de 6000 répondants. Les résultats sont éloquents :

  • 99% des expatriés Manchois déclarent être fiers ou très fiers de leur territoire d’origine
  • 75% d’entre eux affirment vouloir y revenir si une opportunité professionnelle adaptée se présentait

Pour définir cette cible des « expatriés manchois », Attitude Manche a choisi une approche inclusive : « Il peut être né dans la Manche et y avoir grandi comme y avoir passé toutes ses vacances ou y avoir travaillé pendant quelques années. L’idée est de ne pas être excluant ; pour nous, les Manchois sont toutes les personnes qui ont un lien fort avec le territoire. »

Contrairement à d’autres territoires comme le Pays Basque ou la Bretagne, où le sentiment d’appartenance s’affiche ouvertement, les Manchois cultivent un attachement plus réservé. « Les Normands et les Manchois cultivent cette réputation d’être ‘taiseux' », reconnaît Paul-Vincent Marchand. Cette discrétion se manifeste jusque dans notre rapport à la réussite économique : mettre en avant nos succès, célébrer nos champions industriels locaux, verbaliser nos points forts… tout cela reste culturellement compliqué. »

Une approche multicanale ciblée 

Pour toucher efficacement sa cible des expatriés, et changer durablement l’image économique locale, Attitude Manche a déployé une stratégie multicanale qui s’articule autour de lieux et de moments stratégiques.

Une campagne vidéo sur l’équilibre vie pro/perso

La première séquence de la campagne, lancée fin 2024, s’est construite autour d’une série de vidéos « Et toi, tu attends quoi pour revenir ? », présentant trois portraits de Manchois ayant fait le choix de revenir travailler dans leur territoire d’origine. Tournée avec des comédiens, les vidéos illustrent efficacement les possibilités de carrières pointues tout en mettant en scène un art de vivre rendu possible par la proximité de la mer. 

Des messages directs et indirects 

Cette campagne sera réactivée pendant l’été, période stratégique où de nombreux expatriés reviennent pour les vacances. La diffusion est prévue « dans les bars, festivals où ils reviennent en tant que bénévoles ou participants », pour maximiser l’impact sur cette cible déjà présente sur le territoire.

Des opérations similaires sont également programmées pendant les fêtes de fin d’année, en mobilisant les médias locaux pour atteindre « les parents ou les familles qui peuvent les encourager à revenir ».

L’INSPIRATION VENUE D’AILLEURS

Le modèle basque : une approche directe de la diaspora

Le Pays Basque espagnol désigne chaque année une capitale européenne où il organise une grande rencontre avec ses expatriés. L’objectif ? Rassembler sa diaspora autour d’un message simple mais puissant : « On a besoin de vous ! »

Cette approche directe permet de :

  • Maintenir les liens avec la communauté basque à l’étranger
  • Présenter les opportunités actuelles du territoire
  • Valoriser la culture et l’identité basques comme facteur d’attractivité
  • Transformer les expatriés en véritables ambassadeurs du territoire

Une source d’inspiration potentielle pour la Manche qui envisage d’adapter ce modèle à ses spécificités territoriales.

Une présence à Paris

Une opération est en cours de réflexion à la gare Saint-Lazare à Paris, rappelant qu' »au bout de cette ligne, il y a 23 000 emplois », touchant ainsi la communauté manchoise de la capitale “là où elle se trouve lorsqu’elle revient”.

Gare Saint-Lazare à Paris

L’objectif de ces différentes actions est triple : réactiver le sentiment d’appartenance tout en changeant l’image économique du territoire. Et bien sûr, collecter des données pour amorcer un véritable « cycle relationnel et faire un travail approfondi de marketing opérationnel » permettant un accompagnement personnalisé vers le retour.

Vers une communauté d’ambassadeurs

Au-delà des campagnes ponctuelles, Attitude Manche ambitionne de créer une communauté vivante de Manchois expatriés sur le digital mais pas seulement. L’agence prévoit : 

  • Un groupe Facebook dédié favorisant le partage d’expériences et de souvenirs communs tout en valorisant le dynamisme économique par le partage d’offres d’emplois,
  • L’organisation d’événements exclusifs fédérateurs, comme par exemple « inviter à Paris une dizaine d’expatriés manchois dans les coulisses d’un concert de Pierre Garnier, notre musicien star local qui a conquis la France »

Pour structurer cette approche communautaire, Attitude Manche envisage de “dédier  » une personne aux expatriés, pour faire le lien, créer une véritable relation avec eux », et une autre pour assurer la gestion d’une base de données déjà constituée mais encore insuffisamment exploitée.

Ces actions s’intègrent dans un objectif global ambitieux : « faire revenir 1500 personnes par an, soit 500 couples avec enfants. A ce jour, nous compagnons 300 personnes par an, majoritairement des couples et des familles. »

L’équilibre de vie et la culture comme proposition de valeur centrale 

Fort de son expérience, Paul-Vincent Marchand identifie deux écueils majeurs à éviter dans cette démarche ciblant les expatriés : « Premier piège : tomber dans une approche trop excluante. Les termes comme ‘expatrié’ ou ‘diaspora’ peuvent sembler froids… Attention à ne pas créer accidentellement une perception clanique qui ferait plus de mal que de bien. »

Jamais nous n’avons vu autant d’engouement pour les événements sportifs locaux ; les concerts, même dans nos petites communes, se jouent systématiquement à guichets fermés.
Paul-Vincent Marchand, Directeur général d’Attitude Manche.

Il souligne l’importance fondamentale de « proposer un projet de vie global qui transcende la simple offre d’emploi. Pour les personnes en mobilité, il ne s’agit pas juste de trouver un travail, mais d’embrasser un nouveau mode de vie. Notre mission est de présenter une vision d’ensemble qui intègre harmonieusement carrière et qualité de vie. »

Et d’ajouter : « Jamais nous n’avons vu autant d’engouement pour les événements sportifs locaux ; les concerts, même dans nos petites communes, se jouent systématiquement à guichets fermés. Les gens ne sont plus prêts à sacrifier leur vie sociale, culturelle et sportive sur l’autel de leur carrière. Même si le contexte budgétaire est compliqué, ce serait à l’opposé du sens de l’histoire que de céder à la tentation de couper les budgets de la culture et des sports pour tout miser sur l’emploi.”

Cette stratégie novatrice démontre qu’au-delà des infrastructures et des politiques économiques, l’attachement identitaire et émotionnel constitue un puissant levier d’attractivité territoriale encore largement sous-exploité.

Vers un appel à la loyauté territoriale ? 

Et pourquoi pas, demain, s’inspirer plus directement encore du modèle basque espagnol, évoqué par Paul-Vincent Marchand lui-même lors de notre entretien ? Ce territoire (voir encadré) désigne chaque année une capitale européenne où il organise une grande rencontre avec ses expatriés, portant un message aussi simple que puissant : « On a besoin de vous ! » Une approche directe qui réactive le sentiment de loyauté, cette fibre identitaire qui sommeille chez chaque enfant du pays.

Pour la Manche comme pour de nombreux territoires confrontés aux mêmes enjeux démographiques, cette forme d’appel explicite à la conscience collective et au sentiment de loyauté pourrait bien constituer la prochaine étape d’une stratégie d’attractivité résidentielle véritablement efficace. Car, comme le prouve les résultats partagés par l’agence Attitude Manche, les liens émotionnels tissés avec un territoire ne se défont jamais complètement.

Les 2 conseils de Sophie Morice, Consultante en Marketing territorial et attractivité

De Bruxelles à Bordeaux en passant par Strasbourg, Sophie Morice a accompagné deux métropoles (Strasbourg et Bordeaux) sur des enjeux de Marketing territorial et d’Attractivité. Persuadée de l’importance d’une offre très segmentée pour répondre aux besoins spécifiques des cibles, y compris habitants, elle a développé le lien comme vecteur d’ancrage et travaillé la marque employeur territoriale, comme catalyseur de talents pour les entreprises d’un territoire.

Qu’est-ce qui peut faire revenir un « expatrié » ? 

Ceux qui sont partis sont souvent restés sur une image figée de leur territoire à la date à laquelle ils l’ont quitté. Ils ne voient pas le territoire évoluer d’où ils vivent. D’autre part, quand ils sont partis, souvent ils sont partis pour une plus grande ville, voire pour la capitale, qui donne toujours l’impression que c’est là où ‘tout se passe’. Si le lien et les attaches à son territoire sont déjà là, ce qui manque c’est d’être convaincu du dynamisme culturo-économique.

L’enjeu est donc de les informer des nouveautés du territoire et de son évolution, plutôt que les entretenir dans une image figée de leur territoire. Pour attirer à nouveau leurs regards, il faut montrer qu’il se passe des choses dans votre territoire : innovations, projets urbains, transformation des villes, évènements culturels, investissements d’entreprises, renouvellement d’une friche industrielle, actus économiques, portraits d’entrepreneurs… Une bonne façon de relayer la dynamique est de travailler sur des prises de parole de ceux qui font le territoire.

Comment les informer de votre dynamique ? 

Nous avions parié, au sein de l’Eurométropole de Strasbourg, sur les moments charnières de l’année pour informer la diaspora en congés. Les communications de l’Eurométropole se concentraient pendant les week-ends de Pâques et les vacances de Noël en priorité. On engageait d’avatange de communications sur les réseaux sociaux, dans la PQR, on diffusait de petits spots sur les chaines locales, ou des encarts sur des prospectus de programme culturel par exemple.

Maintenant que les réseaux sociaux ont pris une grande place dans la vie des Français, avoir une stratégie directement tournée vers les anciens habitants de votre territoire sur l’un de votre compte réseau social peut être également très porteur.

La suggestion de Laou :
De nombreuses agences d’attractivité qui ont fusionné entre tourisme et attractivité résidentielle ont gardé comme première mission le tourisme et diffusent en priorité des contenus touristiques (des photos de sites touristiques emblématiques notamment) sur leurs comptes instagram et facebook. L’alignement des missions de l’agence ne se retrouve donc pas dans les réseaux sociaux, essentiellement portés sur le tourisme et ces images waou qui véhiculent une image figée du territoire.
Or, des territoires se sont affranchis de cette contrainte, pour faire de leur compte instagram une véritable « vitrine d’expériences du territoire », c’est notamment le cas du compte « Visit Limousin » qui permet de s’adresser aux touristes, comme aux habitants du territoire, voire à des expatriés qui redécouvrent via les contenus le territoire au plus près de la ‘vraie vie’. On pourrait imaginer aller encore plus loin à la rencontre de ceux qui « font le territoire ».

Découvrez également notre article : Developpement économique : misez sur les enfants du pays.

Laou est votre allié pour développer l’attractivité résidentielle de votre territoire.

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